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Je me souviens

Par Brigitte Rosset

par Brigitte Rosset

Je me suis fixé comme objectif de courir trois fois par semaine et j’ai délimité un parcours idéal, le long des quais, à Genève. Juste avant la tour carrée, des pelles mécaniques font des allées et venues au bord de l’eau pour aménager les rives. Aux commandes d’une de ces machines, une femme, avec un immense sourire, donne des instructions à des ouvriers, tout en déchargeant des cailloux. En la voyant, je me suis raconté toutes sortes d’histoires sur sa vie, je me suis demandé si c’était son rêve de petite fille, de travailler là, dans sa machine au bord de ce lac. A mon premier parcours, je l’ai juste observée, à mon deuxième, je lui ai souri, à mon troisième, elle m’a salué de la main, j’ai levé mon pouce en souriant.

Je me souviens que, quand j’avais 6 ans, mon copain Sébastien était fasciné par les travaux. Le matin, avant d’aller à l’école, parfois il arrivait en retard parce qu’il avait dû donner un coup de main aux ouvriers qui faisaient des trous dans sa rue. Après l’école, il n’avait pas toujours le temps de faire ses devoirs, parce qu’il devait encore aider. Et si on voulait, il était d’accord qu’avec Isabelle, on le regarde travailler sur le chantier.

Plus tard, il se voyait conducteur d’une tractopelle. Je crois qu’il est devenu assureur. Isabelle, elle, voulait être prof de math, elle est devenue prof de math et moi, je voulais devenir jardinière, surtout pour faire pousser des légumes.

Ce matin, en arrivant en courant à la hauteur des travaux, j’avais déjà ma main levée, je souriais et j’étais prête à entamer la conversation. Mais ma copine n’était pas dans sa machine. A sa place, il y avait un monsieur pas très souriant. Il m’a regardé, étonné, il a haussé les épaules, il a fait une drôle d’expression avec ses yeux. Il se demandait probablement ce que cette bonne femme lui voulait, avec son sourire, sa main en l’air et son pas de course.

Ce matin, sur les quais, il y avait un soleil en moins, même si la lumière piquait les yeux. J’ai repensé à Sébastien, à Isabelle et à nos rêves de gosses.

Je me suis redis la chance que j’avais de faire un métier rigolo, qui me permet de courir au bord du lac et, si je ne suis pas devenue jardinière, finalement c’est tant mieux, surtout à cause des navets.

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2023-03-01T08:00:00.0000000Z

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