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RACINES

Yaël Hayat A 52 ans, cette avocate pénaliste s’est imposée comme spécialiste des causes les plus difficiles et comme porte-voix des victimes des excès carcéraux et policiers. Son humanisme profond est à chercher dans de solides valeurs familiales.

NICOLAS VERDAN

A 53 ans, l’avocate pénaliste

Yaël Hayat s’est imposée comme spécialiste des causes les plus difficiles.

Les causes perdues, Yaël Hayat n’y croit pas. Souveraine, d’un bel entregent, soudain voilé par l’éclipse d’une intense réflexion, cette avocate pénaliste est animée par une conviction exprimée haut et fort à chacune de ses plaidoiries: «Retrouver la part d’humanité au-delà du crime.» Ces jours-ci, ce ténor du barreau de 53 ans fait à nouveau entendre sa voix, reconnaissable entre toutes, dans l’affaire dite « de la plume », dans laquelle un notable, septuagénaire, a été condamné à 13 ans de prison en première instance pour avoir asphyxié sa femme avec un coussin.

Une affaire marquée par un rebondissement qui affaiblit un jugement reposant essentiellement sur les conclusions de la médecine légale, une plume ayant été retrouvée dans le corps de la défunte lors de l’autopsie: après avoir toujours prétendu que sa femme était décédée de mort naturelle, le prévenu, explique, désormais, qu’il s’agit d’un accident lors d’un jeu sexuel qui aurait mal tourné: «Si on n’arrive pas à convaincre les juges, il finira ses jours en prison.»

C’est à quelques jours de ce procès en appel « très compliqué » qu’elle nous reçoit dans sa lumineuse étude située au coeur de la Cité de Calvin: «Il n’y a que moi pour mettre des rendez-vous dans des moments où je suis satellisée de toutes parts ! »

Née en 1969, Yaël Hayat est d’origine tunisienne, tant par son père, physicien à l’EPFL, que par sa mère. La Tunisie, elle l’a vécue intensément durant les vacances d’été, passées chez ses grandsparents, quand elle se retrouvait au bord de la mer avec ses trois soeurs. Une famille «orientale», autrement dit «exubérance et chaleur».

De son enfance, Yaël Hayat n’a que des bons souvenirs. «Je n’ai pas eu, comme Gisèle Halimi (NDLR. avocate, militante féministe et femme politique franco-tunisienne), cette inégalité entre frères et soeurs. Je me souviens avoir lu dans ses écrits qu’elle avait fait la grève, car on lui donnait tout le temps à faire des tâches comme faire le lit de ses frères et autres. Chez elle, il y avait des comptes à rendre.» Riant de bon coeur: «Moi, je n’ai aucune revanche à prendre dès lors que mon père était entouré de cinq femmes!»

Le piano à l’Université

A l’Université de Lausanne, où elle a fait ses études, Yaël Hayat ne fréquente pas seulement les cours de droit pénal ou de médecine légale. Dans le grand auditoire de ce qui s’appelait, alors, le BFSH1, elle aime le piano qui accueille une joyeuse bande de musiciens et de chanteurs : «L’Université, c’était plus une découverte sociologique, la rencontre avec les gens.»

Au départ, celle qui est aujourd’hui membre de l’Ordre des avocats de Genève, ainsi que de sa Commission de droit pénal, rêve plutôt des planches: «Mon père avait compris mon goût très prononcé pour le théâtre. Il savait que j’allais faire quelque chose au coeur de l’humain. Il a été rassuré quand je me suis tournée vers les études.»

Pas de lignée

Le droit pénal, tel que cette avocate l’entend et l’exerce, est l’occasion de faire valoir de solides valeurs humanistes. Un héritage familial? «Mon métier ne s’inscrit pas dans une lignée. Il n’y a pas d’avocats dans la famille.» Point non plus de révérence à un maître, comme on découvre « dans les biographies d’avocat ».

Yaël Hayat situe toutefois son empathie dans le giron maternel: «C’est Giono qui disait qu’on confectionne son coeur à l’ombre de sa mère. De ce point de vue, j’ai dû recueillir l’empathie de ma mère, qui se nourrit de la douleur et de l’imperfection de l’autre. »

Une prédisposition altruiste qui se couple avec le caractère paternel, plus cartésien : « Mon père, très rigoureux, m’a appris la possibilité d’un retour, de se redresser, de se corriger. Quand on se bat contre une peine de l’emprisonnement à l’infini, on se bat pour convaincre le juge du droit à espérer. Oui, il y a toujours une possibilité de rémission, on n’est pas nihiliste. »

Si on devait résumer les vertus d’un avocat pénaliste, aux yeux de Yaël Hayat, ce serait ainsi le coeur et l’esprit: «On nous l’enseigne sur les bancs de l’Université, c’est

Cicéron : persuader et émouvoir, toucher l’esprit du juge et aussi son coeur. »

En plaidoirie, Yaël Hayat s’intéresse toujours à l’histoire des personnes qu’elle défend. « Impossible de passer à côté. Personne n’est réductible à son acte. Le Ministère public examine le passé à la lumière des antécédents. Tandis que l’avocat, c’est surtout l’histoire et la genèse. »

Et de plaider: «Sans cela, un braquage ressemble à un autre, un homicide à un autre. Or, qu’est-ce qui fait qu’ils sont distincts les uns des autres ? Leur auteur. C’est très improbable que quelque chose surgisse de nulle part. » Pour Yaël Hayat, évoquer l’histoire de tout un chacun est essentiel: «C’est humaniser l’acte. Le passé, la jeunesse, c’est la part d’innocence. »

Son métier, cette grande pénaliste le dit bien, c’est toute sa vie: «Avocat, on l’est. » Ce qui ne l’empêche pas d’être tout autant maman d’un garçon de 14 ans. « Il est ma priorité. Je m’efforce de faire en sorte que l’espace qui doit être le sien soit le moins contrit. »

Mais bien entendu, il y a ces « nuits intranquilles », à la veille d’un procès ou au lendemain d’un verdict accepté difficilement : « J’ai quelque espoir que mon fils ne soit pas trop chagriné de tout ça. C’est très difficile de diluer la colère et la tristesse. Chaque parent aimerait protéger cette sphère, qu’elle demeure crystalline, sans porosité. Mais je suis lucide. Je ne suis même pas dans un combat, j’essaie simplement de faire en sorte que les choses se passent bien. »

Et ses propres parents, comment vivent-ils ces procès médiatisés où leur fille apparaît dans sa robe de pénaliste de renom : « Je ne les informe pas, je les laisse suivre s’ils veulent. Ils suivent de loin. Enfin, c’est ce qu’ils me disent.»

Au service des sans voix, des détenus, des victimes de dérives policières, Yaël Hayat ne cherche pas à être à contrecourant. C’est plutôt un intérêt constant pour un monde dans l’ombre : « J’ai dû recueillir ça de quelque part, même inconsciemment, songe celle qui a hésité à faire des études de psychiatrie. Il ne faut pas forcément vouloir tout éclairer, mais je m’interroge pour essayer de savoir d’où ça vient. Je continuerai à m’interroger, à vie. »

« Convaincre le juge du droit à espérer »

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2023-03-01T08:00:00.0000000Z

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