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Vive la littérature pour comprendre le monde !

La lecture n’est pas qu’une distraction. Entrer dans l’univers d’un écrivain, c’est la possibilité de se décentrer de soi et de sortir d’un isolement aveuglant. Dans un essai prescripteur de grands livres, Mathieu Laine invite à lire et à relire.

Les livres ont souvent besoin d’ambassadeurs. De personnes qui les prescrivent à d’autres parce qu’elles se sont senties différentes après leur lecture. Dessillées sur une problématique humaine ou de société. Plus conscientes de l’impact émotionnel d’un chagrin, d’une dispute, d’un désir. C’est surtout vrai pour les classiques, qui restent sur leur étagère parce que davantage associés à une idée de patrimoine culturel qu’à la possibilité de vibrer. L’ambassadeur d’Edmond Rostand, d’Alexandre Dumas, d’André Malraux, d’Albert Camus auprès de Mathieu Laine a été son grand-père maternel, un grand lettré sauvé par les livres. « Il aurait dû devenir mineur comme son père, se souvient son petitfils qui lui rend hommage sur la page de garde de son essai*. D’ailleurs, ses parents ne l’invitaient pas à lire. Ils l’incitaient plutôt à devenir fort et musclé pour pouvoir travailler au fond de la mine. Mais, comme Albert Camus, il a eu la chance de rencontrer son « Monsieur Germain », un instituteur qui l’a encouragé et est allé dire à ses parents qu’il ne fallait pas le destiner au charbon. » Résultat, le grand-père est devenu médecin et un féru de littérature qui « évangélisait » (le mot

est de son petit-fils), les gens avec ses lectures. Et Mathieu Laine a repris ce flambeau de prescripteur.

Entrepreneur, (il dirige une société de conseils en stratégie), professeur d’Humanités politiques à Sciences Po, il s’est d’abord fait connaître pour ses éditoriaux, publiés dans Le Figaro, où il analyse l’actualité à l’aune de la littérature qu’il dévore. « Une fois que j’ai compris, grâce à mon grand-père, que se plonger dans la littérature donnait des armes pour mieux comprendre le monde, j’ai lu. J’ai passé des étés avec Gide, Flaubert, Proust… Je dois reconnaître que j’ai mis du temps à le lire, Proust. Je n’y suis parvenu que à 40 ans, après avoir écouté en podcast le cours Proust en 1913, au Collège de France d’ Antoine Compagnon, qui m’a, en quelque sorte, pris par la main. Et, depuis, je le lis en boucle et en parallèle des autres. » Autres écrivains qu’il découvre souvent grâce aux libraires, à qui il rend aussi hommage. « Où que je sois, je fréquente les librairies et parle avec les libraires. Ils sont des vecteurs de liberté essentiels. » Aujourd’hui, il

publie un essai*, qui analyse vingt-cinq romans traitant des « tentations autoritaires » de l’être humain, de ses «servitudes volontaires », de ses «moralismes sclérosants » et nous invite à « recouvrer la vue» en pensant par soi-même et en visant haut. Ce livre-bibliothèque recense des ouvrages écrits depuis l’Antiquité jusqu’à 21e siècle. Cela va de L’Iliade et L’Odyssée d’Homère à Vernon Subutex de Virginie Despentes, en passant par « Lady L » de Romain Gary, Don Quichotte de Cervantès, La vérité avant dernière de Philippe K. Dick et Beloved de Toni Morrison, pour ne citer que ceux-là. « Je suis parti des livres qui m’ont particulièrement marqué. Dont la lecture a participé à me construire intellectuellement. Ils m’ont fourni quelques antidotes pour me parer contre la pensée simpliste, une forme d’extrêmisme ou de radicalité. Ils m’ont donné envie de faire le pari de l’intelligence, de l’humanisme, de l’école et des valeurs de l’équilibre ».

Dangereuse autorité

Avec Sa majesté des mouches de William Golding, qui relate l’aventure d’un groupe d’enfants d’une dizaine d’années, piégés sur une île déserte à la suite d’un accident d’avion, Mathieu Laine met en évidence le terreau propice à l’éclosion du populisme. Après avoir choisi de se ranger derrière le courage, la maturité et les stratégies raisonnables de Ralph, les enfants se laissent séduire par Jack, un leader diabolique. Sachant trouver les mots pour émouvoir leurs bas instincts, celuici les pousse à préférer la chasse et le jeu à l’entretien du feu, qui leur permettrait, pourtant, de se faire repérer par un bateau passant au large et d’être secourus. Plus Jack devient sanguinaire, tortionnaire et transgressif et plus son autorité auprès des enfants grandit. Mathieu Laine y voit une parabole de la mise en échec de la démocratie par le populisme et dans Jack grimé en sauvage, l’une des têtes de proue de l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump. Avec La tache de Philippe Roth, Laine montre combien il faut se méfier des jugements au pilori, notamment celles générées par le « wokisme » (prise de conscience identitaire). Écrit en 2000, l’écrivain américain retrace le destin tragique de Colman Silk, un universitaire métis, qui a dissimulé sa négritude sous le paravent de la judéité, pour mieux se hisser dans la société américaine. Jusqu’au jour où il trébuche. Il compare les étudiants inscrits à ses cours, mais ne s'y présentant jamais à des « zombies », sans imaginer que les étudiants présents vont entendre ce terme comme une insulte

«Se plonger dans la littérature donne des armes pour mieux comprendre le monde» Mathieu Laine

CHRONIQUE

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2023-03-01T08:00:00.0000000Z

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