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Homère

VÉRONIQUE CHÂTEL

raciste anti-noirs. Dès lors, il se trouve victime d’une cabale qui lui fera tout perdre. Citant cette phrase de Roth : « Notre compréhension d’autrui ne peut être, au mieux, qu’approximative », Mathieu Laine invite à se souvenir de la complexité des êtres et des situations. Et met en garde contre le moralisme totalitaire qui menace nos sociétés.

Avec l’Iliade et l’Odyssée, il rappelle qu’Homère a écrit une ode au dépassement de soi. « Ses héros, Achille, Hector, Ulysse, Hélène, Pénélope… sont humains. Leur rectitude morale n’est pas toujours inébranlable : ils sont en proie à des émotions que nous connaissons tous. L’Odyssée est une quête du réel, quête de soi, dans un monde où les plans sont sans cesse contrecarrés, mais où l’esprit logique est le secours de chaque instant. » Et de se réjouir que ce texte antique nous encourage à ne pas baisser les bras, même lorsque l’horizon paraît définitivement bouché.

Comment expliquer que certains livres aient ce pouvoir-là ? Celui de nous inciter à faire un pas de côté pour sortir d’une pensée unique, de nous pousser à voir plus loin et plus haut, de nous faire comprendre, sans détours théoriques abscons, des concepts philosophiques parfois complexes? Mathieu Laine répond en deux temps. Tout d’abord, il évoque l’action de la lecture. «Lire, c’est plonger dans une narration. Cela suppose de la concentration. Impossible de consulter en même temps ses mails ou de parler au téléphone avec un ami comme le visionnage d’un film, même grand, peut le permettre. » Il souligne ensuite que cet accaparement de l’esprit, qui est donc propre à la lecture, favorise l’identification aux personnages, l’empathie que l’on peut développer pour eux. « Le lecteur se saisit de l’oeuvre et la passe au filtre de sa propre existence », insiste Mathieu Laine, tout en citant Marcel Proust. Ce processus est par conséquent favorable au développement de l’esprit critique.

Des visionnaires

Et comment expliquer que les romanciers soient de pareils visionnaires ? Capables de dégager l’universel dans ce que vivent leurs personnages ? « Je ne réduis pas la sensibilité qui permet de s'emparer des invariants de l’espèce humaine aux seuls romanciers : les poètes, les dramaturges et la plupart des artistes ont cette capacité à identifier ce qui va être éternel. J’ai emprunté le mot « voyant » à Rimbaud pour l’appliquer aux grands romanciers, car le roman est, dans l’art, le vecteur le plus accessible pour un prix modeste en plus. La plupart des livres dont je parle existent en poche. » Parmi les vingt-cinq romans analysés, seuls quatre ont été écrits par une femme. Doit-on en déduire que les romancières seraient moins «voyantes»? « Je n’ai pas construit ce livre avec un souci de parité ou d’équilibre a postériori. La littérature ne doit pas se laisser arraisonner par ce genre d’injonctions, en l’occurrence féministe. Il y a, de mon point de vue, une erreur fondamentale, à juger une oeuvre à l’aune de son auteur. Céline a écrit Bagatelle pour un massacre qui est une horreur antisémite et, en même temps, il a écrit Voyage au bout de la nuit, qui est un chef-d’oeuvre. Virginie Despentes a tenu des propos, que j’ai qualifiés d’abjects, après les attentats de Charlie Hebdo, et en même temps, elle parvient, avec son talent romanesque, à faire entendre la voix des damnés de la terre. Il ne faut pas confondre l’oeuvre et son auteur. » Alors ne confondons pas et lisons ou relisons ces livres qui, de l’avis de Mathieu Laine, devraient nous aider « à vivre, à aimer, à résister.

A se libérer ».

LITTÉRATURE

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2023-03-01T08:00:00.0000000Z

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https://generations.pressreader.com/article/282647512095525

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