ePaper Magazine générations

La mort et moi:

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA LIETTI

Sarah Jollien-Fardel

50 000 exemplaires vendus, de multiples prix, des traductions prévues dans six langues : depuis la parution de son premier roman, Sa préférée (Editions Sabine Wespieser), en août 2022, la journaliste, née à Sion en 1971, est devenue une écrivaine à succès. « Je pense tous les jours à la mort», avez-vous dit dans une interview…

Oui. J’ai beaucoup connu la mort. Mon père était orphelin, il y a eu beaucoup de décès de son côté. Parmi les deuils douloureux, outre ma grand-mère que j’adorais, j’ai vécu à 20 ans le décès d’un amoureux, mon frère a perdu son fils, mon filleul, âgé de 13 jours… En Valais, d’où je viens, les rites funéraires rythment la vie, dont la veillée des corps dans les chapelles. On passait là des heures, à côté des égreneuses de chapelet, et du cercueil qui restait, à l’époque, ouvert. C’est très impressionnant, les images demeurent longtemps en soi.

On dit que c’est bien de montrer les morts, que ça fait partie de la vie…

Peut-être, peut-être pas… La première fois que j’ai vu un mort, c’était mon arrière-grand-père, j’avais 5-6 ans. Ma mère était, à cette époque, terrorisée par la vue des morts. Quand vous êtes enfant et vous avez un adulte à côté de vous qui n’ose pas entrer dans la pièce, ça fige le moment… Je raconte une scène comme ça dans Sa préférée. Je ne sais pas pourquoi ma mère avait ce traumatisme, mais ça m’a marquée. Quand j’étais petite, je parlais aux morts, j’ai vu des apparitions… enfin, voilà.

Comment, voilà? Racontez-nous!

Je ne veux pas raconter. J’avais beaucoup d’intuition, plusieurs secrets… Mais j’ai rejeté tout ça, à 23 ans, quand j’ai rencontré mon mari. Mon but dans la vie, c’est d’écrire plusieurs livres. Je ne veux pas disperser mon énergie. Cela dit, certaines choses me sont restées de l’enfance. Par exemple, quand je dors, rien ne doit dépasser du duvet : quand j’étais petite, si on était méchants, le diable venait nous tirer par les pieds… On avait beaucoup de croyances.

Concrètement, est-ce que vous préparez votre mort?

Il y a des lettres pour mes fils, écrites à différents moments. Nous avons rempli, mon mari et moi, nos directives anticipées. Pour les obsèques, j’ai mis des choses par écrit. Je souhaite une cérémonie dans une intimité très réduite. J’ai une grande famille, mais les liens sont inexistants.

Vous vivez pourtant en Valais et maintenant vous êtes célèbre…

Vous ne me croirez peut-être pas, mais quand j’ai publié mon livre, personne de ma famille ne s’est manifesté, à deux exceptions près. Pas un mot, même pas de réponse à mes invitations au vernissage. Je viens d’un village, Ayent, à l’énergie étrange. Vous avez intérêt à ne pas réussir. Les gens sont capables de changer de coiffeur juste parce que ça marche trop bien pour lui. C’est tout le mauvais côté du Valais. Alors qu’il y a tant de choses positives !

Où serez-vous quand vous ne serez plus là ?

Partout, j’espère. J’ai toujours cru en quelque chose. Je ne me suis jamais sentie seule, il y a des présences autour de moi … Être catholique est pour moi un vrai choix. Si la réincarnation existe, elle m’a fait naître ici, en terres valaisannes. Cela dit, je ne suis pas du tout pressée de mourir ! J’y ai pensé, j’ai même espéré mourir à certaines périodes douloureuses de ma vie. Mais l’idée de mourir sans avoir publié un livre, c’était impossible. Ça m’a tenue debout.

« Quand j’étais petite, je parlais aux morts »

Qu’aimeriez-vous laisser derrière vous ?

Ma hantise, c’étaient mes écrits : plusieurs manuscrits ou morceaux de textes non publiés. Des textes intimes ou inventés qu’on aurait pu imaginer vrais… J’avais peur que ça ne tombe dans les mains de n’importe qui. En octobre 2021, à la faveur d’un déménagement, j’ai mis presque tous mes cahiers dans un bidon et je les ai brûlés. Est resté Sa préférée qui vivra pour toujours, lui.

SOMMAIRE

fr-ch

2023-03-01T08:00:00.0000000Z

2023-03-01T08:00:00.0000000Z

https://generations.pressreader.com/article/283283167255333

Societe Cooperative Generations